Anne Gorouben

2014 LES BÊTES, aquarelles sur papier (sélection)

Il a fallu que le vétérinaire me laisse avec elle, que je sorte mon carnet et mes crayons afin d’affronter son cadavre, pour que Gobe-Mouche chatte entre, par un tout petit format, dans ma peinture en 1997. Auparavant les chiens occupaient seuls mes peintures et mes carnets. Pourquoi les chiens ? Je les ai dessinés dans toutes les rues et les cafés de toutes les villes, ils sont pour moi comme un soulignement du corps humain, ils en accentuent la solitude ou l’errance, la dépendance, le besoin éperdu d’amour. Le chat appartient à l’intime, tout contre l’homme, il est aussi « celui qui s’en va tout seul », il partage sa vie sur la pointe de ses pattes. Nora-le-chat est morte en juillet 2013, j’ai repris mes aquarelles, j’ai sorti mes jouets, petits animaux en résine qui servent à mes installations, et j’ai peint à nouveau la mort du chat. Les morts du chat ou du chien provoquent de vrais deuils, profonds. Lorsque j’étais enfant, comme mon père pédiatre exerçait dans l’appartement, l’allergie éventuelle d’un petit patient rendait la présence d’un chat impossible, alors que je la désirais ardemment. J’en ai rêvé longtemps, j’ai attendu longtemps, et finalement j’ai rencontré Gobe-Mouche puis Nora, 30 ans de vie avec mes deux chattes noires, que je n’ai dessinées, peintes, qu’à leur mort. Et pour chacune cela a été une surprise car, si proches de moi, vivantes je ne pouvais pas les voir en peinture, (drôle de formule), je les voyais dans ma vie. Le choc violent de leur disparition a provoqué dessins, peinture, aquarelles.   Très tôt dans ma peinture, au tout début des années 80, j’ai cessé de dessiner mon entourage pour dessiner des gens dans la rue, dans les cafés, trouvant des modèles à distance, parfois toujours les mêmes, mes « habitués » dans les cafés où j’étais moi-même une « habituée ». Mes modèles, à la bonne distance émotionnelle, avec leurs chiens. Anne Gorouben, 2014, extraits de LE PETIT CHAT EST MORT, catalogue LES BÊTES, MAHHSA, musée Singer-Polignac, Paris