Anne Gorouben

2000 FAIRE FACE, polyptyque, techniques mixtes sur toile

Depuis le 2 juin je dessine trois soirs par semaine au centre Emmaüs de l’hôpital Sainte-Anne, je fais le portrait des hébergés, en face à face, sur un carnet. Chaque séance, je rapporte aux modèles de la séance précédente une copie laser de leur portrait. Je les appelle « Les habitants du crépuscule » car ils arrivent à la nuit tombée et repartent tôt le matin. Cette situation est souvent inédite pour ceux qui acceptent de poser, elle l’est aussi pour moi. Cet été, au pavillon G de l’allée Franz Kafka, je renoue avec le portrait. Il s’agit d’un travail à deux temps: celui du dessin dans le salon d’Emmaüs, expérience de l’empathie, et temps de solitude à l’atelier devant les peintures. Lorsque j’ai repris en peinture certains de ces dessins, je les ai recadrés. Face à une situation de passage, de précarité, d’exil, de solitude, où la personne semble se réduire, se dissoudre en une silhouette globalement perçue, ce sont les visages et leur regard qui s’imposaient à moi. Marqués, tannés, creusés, ce sont souvent des visages extrêmes, où la vie s’est profondément écrite. L’intensité des regards est aussi celle de la parole qui s’échange lors de ce moment du dessin, qui en fait un temps exceptionnel. Sans doute ma décision d’entreprendre ce carnet et ce qui en découle est-elle lié à ma perception inquiète de la fragilité, de la vulnérabilité du visage et de sa perte.   Anne Gorouben, Sainte-Anne magazine, Août 2000.