Anne Gorouben

1997-1998 LA MAISON ODESSA, Paris, Odessa (sélection)

La première chose qui m’a frappée quand je suis arrivée à Odessa, venant de Kiev, c’est la diversité du paysage humain. On a une impression très forte de brassage, de mélange, d’origines diverses, par la variété des physiques. C’est la « maison Odessa », cette maison qui accueille diverses communautés : Grecs, Moldaves, Juifs, Italiens, Russes, beaucoup de peuples s’y sont mélangés ; j’ai rencontré des gens qui célébraient toutes les fêtes religieuses, parce qu’une grand-mère était russe et qu’une autre grand-mère était grecque, arménienne… Cette « maison Odessa » a été pour moi une immense émotion. Odessa est pourtant très dure, très violente, et vit comme les autres villes d’Ukraine dans de grandes difficultés, le désarroi, la désespérance, la misère et l’attente en général. Mais Odessa est une origine vivante : je suis un peu chez moi là-bas, je viens de là. J’ai beaucoup dessiné les rues qui me semblaient très proches de ce que je ressentais. Les rues d’Odessa sont plantées d’acacias pour retenir le sol, à cause des tempêtes de poussière. En été, Odessa est plongée dans la pénombre. Ce qui donne ce caractère à la fois très doux et extrêmement beau à la ville, ce sont ces grandes voûtes d’acacias majestueux au-dessus des rues et, tout à coup, on a une brèche dans cette pénombre et on débouche sur le grand port encore actif. Le voyage d’Odessa m’est advenu sans que je l’aie vraiment recherché ; il s’est offert comme une découverte du passé à travers un présent éclatant qui démontrait qu’ici rien n’arrêterait la vie ; cette continuité hors de mon histoire personnelle m’ouvrait une perspective. Seul ce temps partagé, inscrit au présent sur le papier, reconstitue à rebours mon lien avec Odessa, ville de douceur et de douleur, dans mes carnets.     Anne Gorouben, extrait de LA MAISON ODESSA Cahiers du Judaïsme n°1, 1998