Anne Gorouben

Ce corps difficile (samu social 2005)

[nggallery id=17] Lorsque j'ai dessiné au foyer Emmaüs de l'Hôpital Sainte-Anne ceux que je nommai "les habitants du crépuscule" je voulais faire renaître leur visage et leur regard.

Ce qui me frappa, outre la souffrance psychique, ce fut la douleur des corps. Les pieds de Josyane qui lui faisaient trop mal pour qu'elle retourne encore à la CAF, les mains mutilées de Karim, 18 ans, sa main gauche énorme et inutilisable après une nouvelle tentative de suicide, les oreilles arrachées de Frédéric, atroce reste d'enfance lorsque ses parents avaient tiré sur ses épaules pour dégager sa tête des barreaux de son lit, le corps rongé par le sida et les plaies d'Eric, celui miné par l'alcool de Daniel; ces corps épuisés, meurtris, malades, avec lesquels il fallait pourtant faire, dès le matin partir avant 8 heures pour "chercher du travail". En fait traîner ce corps avec soi jusqu'au soir , quelque but, quelque escale dans la journée peut-être.

Le jour ou je suis venue rencontrer le Docteur Xavier Emmanuelli, j'ai vu l'espace du Samu Social, les chambres d'hébergement destinées aux soins des corps blessés. Dans cette ancienne clinique, on prend du temps pour s'occuper des corps en souffrance, première étape du traitement de l'urgence.

Décidant d'entreprendre ce que le Docteur appela un nouveau carnet de route, j'ai eu le désir d'y associer le projet d'un livre lithographié avec Le petit jaunais. Nancy Sulmon s'est immédiatement impliquée, a proposé de réaliser le livre sur place si cela était envisageable.

La structure du petit jaunais est très légère et prend peu de place,  elle permet une expérience en direct avec ceux qui voudront participer, portraits et textes assemblés, avec comme toujours chez Le petit jaunais cette prise de risque du dessin tracé sur la pierre dans le temps même de la rencontre.

L'ensemble de ce travail, CE CORPS DIFFICILE, pourra être présenté, à l'invitation du Docteur Anne-Marie Dubois, au Musée Singer-Polignac à l'Hôpital Sainte-Anne.

Anne Gorouben, Mai 2005